« Tu tires des récits de tes vices, tu rêves des doubles pour tes démons » : c'est ainsi que Nathan Zuckerman, la créature de papier de Philip Roth, décrit son entreprise d'écriture dans La Leçon d'anatomie. Apparu sous la plume de l'écrivain Peter Tarnopol dans Ma vie d'homme (1974), ce double assumé du fictif Tarnopol et de Roth, lequel les invente tous deux en vertu d'un processus de création fait de reflets et de répliques, prend pour ainsi dire vie dans le premier cycle romanesque qui lui est consacré, Zuckerman enchaîné.
Cette série de romans - une trilogie et son épilogue - offre à Roth l'occasion d'exposer les métamorphoses de la subjectivité. Elle met en scène quatre moments-clefs de la carrière de Zuckerman : la relation de l'aspirant écrivain avec son mentor (L'Écrivain fantôme, 1979) ; le romancier devenu une célébrité et la victime de son succès (Zuckerman délivré, 1981) ; l'homme souffrant de douleurs mystérieuses en pleine crise de la quarantaine, rattrapé à la fois par la complexité de sa vie amoureuse et sexuelle et par la mort de ses parents (La Leçon d'anatomie, 1983) ; l'homme de lettres privilégié face aux intellectuels de l'Europe de l'Est communiste (L'Orgie de Prague, 1985).
On retrouvera Zuckerman dans La Contrevie (1986), un « labyrinthe de miroirs » (Philippe Jaworski), et un chef-d'oeuvre de virtuosité, qui est en quelque sorte la réponse de Roth au postmodernisme américain incarné notamment par Thomas Pynchon. Un brouillon donne à penser que le roman aurait pu être intitulé Tu dois changer ta vie ; « Tout peut arriver, et c'est précisément ce qui arrive : tout. » Pendant la période de création couverte par ce volume, Roth explore la frontière poreuse entre réalité et fiction. S'il occupe le devant de la scène jusqu'en 1986, Zuckerman n'est pas l'unique alter ego de l'auteur. Émerge en effet un nouveau personnage (de fiction ?) nommé Philip ou Philip Roth. Il dialogue avec Zuckerman dans Les Faits (1988), sous-titré « Autobiographie d'un romancier » ; avec des femmes dans Tromperie (1990), roman tout entier construit en dialogues - « la bande-son d'un roman sans images », selon Ph. Jaworski -, tandis que Patrimoine (1991), récit de la maladie et de la mort du père (non plus celui de Zuckerman, celui de Roth), est présenté comme « Une histoire vraie ».
Les faits seraient-ils enfin débarrassés de leur gangue de fiction ? À la fin de la lettre que le Roth des Faits écrit à son lecteur Zuckerman, il admet que les « faits » sont en réalité des souvenirs déjà retravaillés. Ses expériences personnelles et son passé ne prennent forme et sens qu'une fois racontés. Et c'est à un personnage de fiction, l'inévitable Zuckerman donc, que Roth confie le soin de porter un jugement sur son manuscrit « autobiographique ». L'autobiographie est sans doute « le genre le plus manipulateur dans toute la littérature », estime Zuckerman. C'est le moins que l'on puisse dire. Toute tentative de figer la frontière entre réalité et fiction est ici vouée à l'échec.
Ce récit, écrit à la première personne, raconte la lente maladie du père de l'auteur âgé de quatre-vingt-six ans, sa lutte obstinée pour vaincre la tumeur au cerveau qui finira par l'emporter. Dans ce combat contre le drame de la vieillesse, le fils guide et assiste le père jusqu'à s'identifier à lui.Patrimoine est une histoire vraie (comme le précise le sous-titre) dont Herman, le père, plus encore que le fils, est le barde. Une histoire cruelle et émouvante, que l'intégrité d'Herman, son refus de l'héroïque et de l'édifiant préservent pourtant de la complaisance et du sentimentalisme. Un récit qui proclame l'infinie complexité et la permanence de la vie, la nécessité de se souvenir, de ne rien oublier, car «être vivant, c'est être fait de mémoire. Si un homme n'est pas fait de mémoire, il n'est fait de rien». Une élégie d'horreur et de compassion, mais aussi d'amour.
Paris, 1878. Les impressionnistes choquent les esthètes bourgeois en exposant leurs oeuvres. Parmi eux, Mary Cassatt, peintre américaine impétueuse dont la critique a remarqué les nuances justes et délicates. Au coeur de son travail : sa soeur Lydia. La jeune femme au teint clair et aux cheveux auburn qui illuminent les tableaux de Mary livre ses pensées intimes, ses joies et ses aspirations, portant un regard ému et digne sur le monde alors que sa santé décline inexorablement. Chaque séance de pose est une douleur autant qu'une échappée belle, et ce face-à-face entre la vie qui s'enfuit et l'art qui se construit révèle la profondeur de l'intimité des deux soeurs.
Voyage poignant au coeur de cette relation complexe, le roman de Harriet Scott Chessman offre une voix à Lydia Cassatt, évoquant les amours de femmes éprises d'indépendance, dans l'effervescence artistique du Paris de la fin du XIX& sup;siècle.
Un psychanalyste trahit le secret professionnel pour expliquer à ses confrères l'étonnant cas de R, un jeune écrivain riche et talentueux tombé dans la drogue et l'alcool ; un professeur d'université découvre au cours des années que ce que les gens perçoivent n'est pas toujours la réalité ; un père assiste à un match où joue son fils et comprend qu'il est devenu adulte. Trois nouvelles pénétrantes sur les malentendus de la vie quotidienne par l'auteur de l'inoubliable Corps et âme.
«Mieux vaut le faire savoir d'emblée : tout a sans cesse tourné autour de l'argent.La première chose importante qu'il m'ait dite fut : Tu travailles trop dur.Bien entendu, le sexe entrait aussi en ligne de compte.Et, comme je suis peintre et que cela commandait à la fois ma vie et mon activité, force est de reconnaître que l'art était lui aussi en jeu.Commençons donc par là. J'étais un peintre qui jouissait d'une petite notoriété. Guère plus. Aujourd'hui, je suis un peintre qui jouit d'une grande notoriété. Et, à n'en pas douter, son rôle a été déterminant à cet égard...»Tout en exprimant ses convictions féministes, Mary Gordon porte un regard aigu et original sur l'art, l'argent et l'amour.Un roman subtilement provocateur.
«Lumière sur la Piazza est une de ces oeuvres qui échappent à leur auteur, façonnée avec autant d'amour et de soin que le reste de ses écrits, mais qui, par une sorte de magie, devient un joyau parfait, mélange d'ironie et d'ambiguïté. Une femme, Mrs Johnson, doit prendre une décision, un pari risqué qui assurera peut-être le bonheur de sa fille. Elle est seule, dans un pays étranger, l'Italie, consciente de la séduction qu'il exerce sur elle, éblouie par la magie de la lumière qui donne la consistance de la réalité à ce qui n'est peut-être qu'illusion.
La confrontation de ces deux univers, celui de l'Amérique et celui de l'Italie, et leur incapacité à se comprendre font penser à Henry James, d'autant plus que l'intrigue se noue autour du mariage entre une belle héritière américaine et un séduisant Florentin.
Les autres nouvelles mettent toutes en scène des femmes confrontées à une expérience qui les oblige à jeter un nouveau regard sur leur vie et à choisir une rupture ou une acceptation lucide. La touche d'Elizabeth Spencer est un mélange d'ironie, d'ambiguïté, avec une grande élégance d'écriture.» Micjhel Bandry.
« Après le dîner, je retournai dans la cuisine pour boire de l'eau, et ne voilà-t-il pas que Charlie était en train d'y embrasser Shirley ! Elle était sur la pointe des pieds, faisant un tel effort pour parvenir à la hauteur de Charlie qui mesurait un mètre quatre-vingt-dix que, même gênée, furieuse et cherchant à sortir à reculons avant qu'ils ne me voient, je me fis cette réflexion : ils auraient besoin d'un escabeau pour réussir leur coup. »
Dans La petite fille brune et autres nouvelles du Sud nous sont présentées des héroïnes d'une grande lucidité. Filles et femmes, épouses ou veuves, elles sont pleines de ressources intérieures et dotées d'un humour salvateur dans les pires situations. Profondément indépendantes, elles savent au besoin rompre les amarres tout en restant attachées aux valeurs du passé et à leur terre.
Les héroïnes de ces nouvelles, filles et femmes, épouses ou veuves, sont lucides, pleines de ressources intérieures et dotées d'un humour salvateur dans les pires situations. Profondément indépendantes, elles savent au besoin rompre les amarres tout en restant attachées aux valeurs du passé et à leur terre.
Ces nouvelles procurent un pur bonheur de lecture.